Louis Pasteur (1822-1895) Soigner le vivant par l’infiniment petit

19 Dec 2022

Le bicentenaire de la naissance du pionnier de la microbiologique a agité cette année les plumes des défenseurs du vin. Au sein de ces hommages de rigueur à leur figure de proue, la présente contribution n’a d’autre ambition que d’offrir des parallèles entre la science et l’art afin de rappeler qu’ils forment un même ensemble pluridisciplinaire à la vocation congruente : réfléchir la facette la meilleure de leurs sujets d’étude.  

“« Regarder en haut, apprendre au-delà, s’élever toujours », Jean-Joseph Pasteur 1 

Chimiste et biologiste, Louis Pasteur a élevé la microbiologie au rang de science de plein droit. Il ne négligea ni le prestige institutionnel ni les honneurs, dans une notion patriote de l’engagement : plus que la gloire, Pasteur visait la noble mission du service rendu à son pays. Jamais n’a-t-il désavoué l’humilité de ses origines sociales, pas même par ses manières qu’il sut garder simples malgré la gloire. Bercé du viatique paternel : « Regarder en haut, apprendre au-delà, s’élever toujours », le héros national a toujours manifesté un enthousiasme particulier à œuvrer pour la science, la foi, la beauté et la patrie. Il exprima cette conviction nécessaire au savant pour mener sa démonstration dans son discours de réception à l’Académie française, le 27 avril 1882 :  

 

La grandeur des actions humaines se mesure à l’inspiration qui les fait naître. Heureux celui qui porte en soi un dieu, un idéal de la beauté et qui lui obéit : idéal de l’art, idéal de la science, idéal de la patrie, idéal des vertus de l’Évangile ! Ce sont là les sources vives des grandes pensées et des grandes actions. Toutes s’éclairent des reflets de l’infini.

 

Systématisation épistémologique : la philosophie naturelle de Pasteur

 

Entre génie et hasard de découverte, on doit évoquer surtout d’heureuses conjonctions d’une recherche savamment organisée au gré des commandes, nécessités d’une époque fertile en idées, déploiement de moyens et croyance au progrès.


Pasteur a imposé le principe d’ordre jusqu’à celui d’aléas de la recherche par le maintien d’un fil conducteur de l’énonciation du problème à sa résolution par l’expérimentation systématique, en passant par son ontologie.  


Comme son prédécesseur à l’Académie française, Emile Littré, Pasteur s’applique aux hautes questions de l’étiologie médicale, véritable « art de savoir », selon l’inlassable lexicographe qui fut aussi médecin de formation, en une inversion des pratiques. Le chimiste, en effet, exprime ses idées par l’audace de l’expérimentation plutôt que par la spéculation métaphysique. Son génie, d’après son successeur au Fauteuil 17 des « immortels », le médiéviste Gaston Paris, fut de snober les limites de la science. Pourquoi, en effet, se priver s’attaquer à des questions dont il se savait capable de dépasser la complexité ? La connaissance et la méthode scientifiques, la recherche de vérité, la capacité d’abstraction seraient des alliés imparables. 2

 

Ayez le culte de l'esprit critique. Réduit à lui seul, il n'est ni éveilleur d'idée, ni un stimulant de grandes choses. Sans lui tout est caduc.

Extrait du discours d’inauguration de l’Institut Pasteur, le 14 novembre 1888 à Paris.

 

L’art et la méthode

Une hauteur d’esprit particulière préside à la mutation de l’homme de science au « bienfaiteur de l’humanité ». Sans doute serait-il exagéré d’affirmer que la peinture fut son violon d’Ingres. En revanche, on peut légitimement évoquer son intérêt revendiqué pour l’art, dessin et peinture en particulier. Chez Pasteur, cela s’exprima de très bonne heure par un engagement dans le monde de l’art. Au-delà de ses propres œuvres (dessins, pastels, lithographies), réalisées avant l’âge de 19 ans, Pasteur a enseigné à l’Ecole des Beaux-Arts de Paris la chimie des pigments, des vernis et laques. Il comptait de nombreux artistes parmi ses proches et n’était plus généralement pas étranger à la scène artistique de son époque. 3


Au-delà de l’élan positiviste, on a récemment évoqué l’apport du goût pour l’art de Pasteur à son flair scientifique : ainsi explique-t-on sa compréhension de la chiralité (du grec χείρ, kheir: main), la propriété d’un objet à trois dimensions non superposable à son image dans une symétrie par rapport à un plan. La chiralité relie les notions de symétrie et d’orientation et trouve maints terrains d’observation, dans la vie courante comme dans la pratique scientifique. L’ayant observé à partir d’une lithographie, Pasteur en aurait appliqué le principe à la biologie : belle illustration de l’utilité scientifique de l’art. 4
 

Du vin médecin à l’étiologie de ses maladies

Figure tutélaire de la défense du vin, Pasteur est l’héritier d’une longue descendance des défenseurs du potentiel thérapeutique du vin, reconnu depuis l’antiquité hippocratique, et prôné surtout par les médecins galénistes, du IIIe au XVIIe siècle.  


Parmi les innombrables travaux sur le vin et innovations à haute portée, le cheminement de Pasteur reste remarquable. A partir des années 1860, il répond scientifiquement aux demandes de Napoléon III par ses études sur les vins d’Arbois dans le Jura. Il allie l’utile à l’agréable – ou plutôt la chimie à l’empirisme en acquérant sa propre vigne (d’aucuns estiment qu’il l’aurait cultivée de ses mains de savant). Mais il est surtout connu pour ses travaux d’assainissement du vin par le chauffage, qui entraîne la destruction des micro-organismes responsables de l’acétisation (Mycoderma aceti), nommé depuis lors « pasteurisation ».


Fidèle à l’humanisme de la méthode en vigueur à son époque, Pasteur dépasse le travail de laboratoire en devenant un membre actif de l’association française contre l’abus des boissons alcooliques. Un engagement disciplinaire, mais aussi moral : les vertus du vin et de l’homme peuvent s’exprimer de concert. Notons cette remarquable complémentarité scientifique : par la recherche de remèdes contre les maladies de l’homme, de l’animal et du vin, Pasteur a trouvé le sens de la vie et de ses altérations dans le monde microscopique. Voilà une philosophie que l’on pourrait rapprocher de la tradition aristotélicienne : d’une part, la téléologie, d’autre part, et surtout, la perception de la génération et de la corruption comme mouvements inévitables du vivant.

 

Séditieux hommage

En 2015, le Musée d’Art – Hôtel Sarret de Grozon, à Arbois, exposait Pasteur par la caricature selon une tradition à la fois frondeuse et historisante. Ainsi cinq thématiques éclairaient-elles à la fois les axes de la recherche du savant jurassien et le contexte de son époque : la figure du scientifique, la rage, la rivalité France-Allemagne, hygiène et société, sciences et religion. Au-delà de la pénétrante provocation, cet hommage, à l’homme de science et à l’esprit français, vise à rappeler le triptyque gagnant de Louis Pasteur : volonté de fer, une puissance de travail phénoménale, et le succès couronnant de longues années d’un effort constant et acharné. Le trio idéal pour l’acquisition d’une légitime postérité internationale, multidisciplinaire, et multiséculaire.  

 

1Ces mots furent rapportés par Gaston Paris comme étant ceux du père de Louis Pasteur, Discours de Réception, 28 janvier 1897, https://www.academie-francaise.fr/discours-de-reception-de-gaston-paris 

2 Reception speech by Gaston Paris on 28 January 1897: : https://www.academie-francaise.fr/discours-de-reception-de-gaston-paris 


 3Bert Hansen (2021), “Pasteur’s lifelong engagement with the fine arts: uncovering a scientist’s passion and personality,” ANNALS OF SCIENCE, 78:3, 334-386, DOI: 10.1080/00033790.2021.1921275.


 4 Joseph Gal, “Louis Pasteur, Chemical Linguist: Founding the Language of Stereochemistry”, Helvetica Chimica Acta 102 (8), 2019.
https://www.researchgate.net/publication/333315100_Louis_Pasteur_Chemical_Linguist_Founding_the_Language_of_Stereochemistry