Protocole de l'OIV pour la sauvegarde et la conservation de la diversité intra-variétale et la sélection polygonale de la vigne pour les variétés présentant une grande variabilité génétique
RÉSOLUTION OIV-VITI 564B-2019
PROTOCOLE DE L'OIV POUR LA SAUVEGARDE ET LA CONSERVATION DE LA DIVERSITÉ INTRA-VARIÉTALE ET LA SÉLECTION POLYCLONALE DE LA VIGNE POUR LES VARIÉTÉS PRÉSENTANT UNE GRANDE VARIABILITÉ GÉNÉTIQUE
L’ASSEMBLÉE GÉNÉRALE,
SUR PROPOSITION de la Commission I « Viticulture »,
VU L’ARTICLE 2, paragraphes 2 b) i et c) iii de l'Accord du 3 avril 2001 portant création de l’Organisation internationale de la vigne et du vin, et au titre du point 1.c.iii du Plan stratégique 2015-2019 de l'OIV, qui prévoit de « valoriser les connaissances sur la génomique fonctionnelle de la vigne et des microorganismes »,
CONSIDERANT les travaux présentés au cours des réunions des groupes d’experts, et en particulier par les groupes d’experts « Ressources génétiques et sélection de la vigne » et « Protection de la vigne », et faisant suite à une proposition faite par ces groupes d’experts,
CONSIDERANT les résolutions OIV-VITI 6-1990, portant sur l’obtention, la reproduction, la conservation et la propagation des clones, OIV-VITI 1-1991, portant sur le programme type de l'OIV pour la réalisation de la sélection clonale de la vigne, et OIV-VITI 564A-2017, portant sur la procédure de l’OIV pour la sélection clonale,
DECIDE d’adopter la définition de la « sélection polyclonale » ainsi qu’un protocole de l’OIV pour la sauvegarde et la conservation de la diversité intra-variétale et la sélection polyclonale de la vigne pour les variétés présentant une grande variabilité génétique :
Sommaire
A. INTRODUCTION 3
B. DÉFINITION DE LA SÉLECTION POLYCLONALE 3
C. MÉTHODOLOGIE 3
1 Cadre méthodologique 3
2 Premier cycle : prospection/échantillonnage de plantes mères au sein de vieux vignobles de la variété ancienne 3
3 Second cycle : essai au champ de grande envergure avec les génotypes prospectés pour la sélection polyclonale et la conservation de la diversité 5
4 Homologation 8
5 Autres résultats secondaires et recommandations 9
6 Résumé du protocole 10
ANNEXE I. GLOSSAIRE 11
ANNEXE II : SÉLECTION GÉNÉTIQUE ET PHYTOSANITAIRE DE LA VIGNE : ÉTAT DE L’ART ET REVUE BIBLIOGRAPHIQUE 14
1. Bases théoriques de la génétique quantitative pour la réalisation de la sélection génétique 14
2. Évolution historique des méthodologies de sélection appliquées aux cultures agricoles et aux variétés de vigne 16
3. Situation actuelle et risques pesant sur les ressources génétiques de Vitis vinifera 18
BIBLIOGRAPHIE ET CITATIONS 20
A. INTRODUCTION
L’application de la présente méthodologie est en priorité destinée aux variétés anciennes de vignes (V. vinifera L.) présentant une grande diversité inter-variétale.
La procédure s’appuie sur des principes de génétique quantitative et statistiques. Elle s'inscrit dans la ligne des idées pionnières proposées pour la première fois par Rives (1) pour la sélection de la vigne, et qui ont été développées, testées et évaluées à grande échelle au Portugal depuis les années 1970 (2). Il existe également dans d’autres pays des protocoles de sélection clonale qui sont cités et décrits dans la résolution OIV-VITI 564A-2017 portant sur la définition de la sélection clonale et des procédures associées.
B. DÉFINITION DE LA SÉLECTION POLYCLONALE
La sélection polyclonale correspond à la sélection d’un lot de génotypes réalisée selon la méthodologie décrite ci-après.
C. MÉTHODOLOGIE
1. Cadre méthodologique
La méthodologie repose sur deux cycles :
- Le premier cycle s’attache à la prospection et l’identification dans le cadre d’une variété donnée du matériel génétique de départ (diversité intra-variétale) pour la sélection ;
- Le second cycle est centré sur l’étude des génotypes échantillonnés et sur le processus de sélection polyclonale qui permettra finalement la plantation de nouveaux vignobles présentant des gains génétiques stables et/ou la mise à disposition de plants et de données pour la sélection clonale.
2. Premier cycle : prospection/échantillonnage de plantes mères au sein de vieux vignobles de la variété ancienne
Pour atteindre la plus grande variabilité possible, il est préférable de procéder à un échantillonnage « quasi randomisé » de plantes visuellement exemptes de virus et autres maladies, plutôt que de procéder à une sélection basée sur les valeurs phénotypiques des traits recherchés, car les déviations environnementales sur les plantes individuelles sont très élevées.. Les plantes de l’échantillon doivent être multipliés après avoir subi des tests afin d’exclure la présence des virus à plus forte prévalence naturelle, puis seulement enfin plantées au champ en vue du second cycle.
2.1. Identification de la ou des région(s) d'échantillonnage
La prospection et l’échantillonnage du matériel de départ devraient être réalisés dans une ou plusieurs régions viticoles où la variété à examiner est traditionnellement cultivée (en se référant à des sources historiques, littéraires et administratives relatives à la distribution spatiale de la variété ancienne), ces régions étant davantage susceptibles d’abriter une grande diversité génétique de la variété objet de l’étude. Restreindre la sélection à une seule région réduit la quantité de diversité soumise à sélection, et donc les gains génétiques potentiels pouvant être obtenus. L’identification exacte des régions au sein desquelles sont pratiqués les échantillonnages permet une généralisation à posteriori des résultats obtenus à ces régions, et de déterminer le centre de la diversité de la variété ancienne (le lieu où il est probable qu'elle ait été domestiquée) ainsi que son évolution géographique.
2.2. Nombre de vignobles et de plants à marquer
L’objectif général est de sauvegarder la diversité intra-variétale présente dans chaque région en identifiant un nombre approprié de plantes. Selon les expérimentations de simulation réalisées en situation réelle et par ordinateur (3), ce nombre oscille entre 50 et 70 plantes par région. Lorsque la variété n’est présente que dans une seule région, ce nombre peut largement dépasser les 70. Théoriquement, l’échantillonnage d'un nombre réduit de plantes dans chacun des vignobles suivis offre les meilleurs résultats. D’une manière générale, il convient pour chaque région d’échantillonner 2 à 3 plantes dans 20 à 30 parcelles de vigne, appartenant préférablement à des propriétaires distincts (ces chiffres se réfèrent à des plantes exemptes des virus les plus répandus).
2.3. Critères pour le choix des vignobles et des plantes dans le vignoble
Les plantes des vignobles objets de la prospection ne devraient jamais avoir été greffées avec du matériel issu d’un processus de sélection antérieur (c.-à-d., matériel commercial sujet à des travaux de sélection massale et clonale antérieurs) ; en d'autres termes, elles doivent avoir été plantées avant la mise en œuvre des programmes de sélection et de distribution de plants greffés ou de boutures issus de pépinières.
La distribution géographique des parcelles de vigne à échantillonner devrait correspondre approximativement à la fréquence de distribution de celles hébergeant la variété ciblée dans la région considérée. Il est préférable de réaliser l’échantillonnage dans des parcelles plantées avec des matériels non apparentés (par ex., n’appartenant pas au même propriétaire au moment de la plantation).
Pour chaque parcelle, les plants choisis devraient être séparés les uns des autres d’au moins 5 rangs et de plus de 20 mètres au sein d’un même rang.
Étant donné que l’objectif principal de cette étape est la collecte d’un échantillon représentatif de la diversité intra-variétale de la variété ancienne présentant une grande variabilité génétique, il convient d'éviter de choisir les plantes sur la base de traits spécifiques. Cependant, il est conseillé de rejeter les individus clairement indésirables (symptômes d'infection virale ou de maladie du bois, anomalies phénotypiques, malformations, etc.) et/ou qui ne correspondent pas à la variété sélectionnée du point de vue morphologique.
Un système de référencement simple, aussi universellement compréhensible que possible, doit être créé et conservé en vue de l’identification de l'emplacement des plantes et des parcelles d’origine choisies, et cela afin de permettre la vérification postérieure de la représentativité de l’échantillonnage et de garantir la traçabilité du génotype sélectionné final jusqu’à la plante mère d’origine ou son emplacement.
2.4. Diagnostic virologique par méthode ELISA
Il est opportun à ce stade de réaliser des essais de détection (ELISA) des virus nuisibles, conformément aux dispositions légales encadrant la certification des plants de vignes du pays concerné. Néanmoins, il est possible d’omettre à cette étape le diagnostic des virus à faible prévalence avérée dans la région, et de le réaliser lors d’une étape postérieure.
3. Second cycle : essai au champ de grande envergure avec les génotypes prospectés pour la sélection polyclonale et la conservation de la diversité
Figure 1. Exemple de diagramme de dispositif en BAC (blocs aléatoires complets) pour un essai au champ réalisé avec 30 génotypes de vigne à comparer pour une variété présentant une faible diversité. La randomisation des 30 génotypes répétés dans chacun des 6 blocs est détaillée dans la partie de gauche. Chaque cellule représente 3 plants, les génotypes sélectionnés étant indiqués par des numéros et couleurs. Les plants tampons qui entourent le terrain d’essai permettent de réduire l’hétérogénéité des bordures. Dans la partie de droite sont représentés les plants de vigne (o) et poteaux (•) présents dans les parcelles (lignes claires) et les bocs (lignes foncées). Ce plan expérimental à échelle réduite inclut 18 plants de chaque génotype, à savoir trois plants par parcelle élémentaire dans chacun des 6 blocs. Cependant, le dispositif est applicable à un plus grand nombre de génotypes (centaines), comme cela est recommandé dans le cas de variétés anciennes. |
Ce cycle consiste en un essai au champ de grande envergure contenant un échantillon de la diversité existante au sein de la variété étudiée. Dans un essai au champ de ce type, il est possible d’appliquer les outils méthodologiques de la génétique quantitative sous conditions optimales. Le vignoble expérimental remplit les deux conditions essentielles au succès de la sélection génétique : (1) il contient tout le matériel de départ identifié (diversité) et (2) sa conception autorise l’application de modèles d’analyse de données, ce qui permet l’évaluation phénotypique des traits. Il permet en outre d’évaluer les écarts entre les valeurs obtenues et les valeurs génétiques réelles.
3.1. Choix du dispositif expérimental
Le dispositif expérimental s’avère essentiel pour contrôler la variation environnementale réelle au sein d’une plantation comportant plusieurs centaines de génotypes. Les solutions peuvent aller de l’utilisation de dispositifs en blocs aléatoires complets (BAC, 5-6 blocs x 3 plants, figure 1) à celle de solutions plus performantes : dispositifs alpha-plans et dispositifs en lignes et colonnes, en fonction des ressources méthodologiques et informatiques disponibles dans chaque contexte. Pour une délimitation plus sûre des unités expérimentales, chaque unité devrait correspondre à la moitié des plants situés entre deux piquets consécutifs (3 plants habituellement).
3.2. Préparation du vignoble expérimental
En règle générale, le lot de génotypes étudiés est conduit en suivant les techniques agronomiques standards utilisées dans la région concernée (densité de plantation, système de conduite, méthodes de taille, etc.), en s’assurant que les interventions agronomiques soient appliquées d’une manière strictement homogène. Cependant, le grand nombre de génotypes et de répétitions impliqués requiert un contrôle particulièrement rigoureux au cours de la plantation. Ce contrôle s’avère davantage efficace en pratiquant un greffage en place (plantation des porte-greffes et greffage en place des génotypes l’année suivante). En cas d’utilisation de plants greffés-soudés, ces derniers doivent préférentiellement être enracinés dans des pots étiquetés afin de minimiser les erreurs. Les porte-greffes devraient être choisis en fonction des caractéristiques du sol destiné à les accueillir, en utilisant le même porte-greffe pour tous les plants de l’essai.
3.3. Collecte des données
En principe, les plants de l’essai au champ devraient être évalués pour tous les traits d’intérêt aux fins de la sélection. Cependant, le nombre d’analyses au sein de plusieurs centaines de parcelles (nombre de génotypes multiplié par le nombre de blocs) est souvent limité par les moyens disponibles. Dans la pratique, les paramètres les plus pertinents sont le rendement, la fertilité, la taille des grappes et des baies, ainsi que l'acidité, le pH, la concentration en matières solubles totales, les phénols totaux et les anthocyanes du moût.
Les composants de la qualité du moût sont analysés sur la base d’un échantillon d’au moins 60 baies par répétition (pour accélérer et faciliter le processus en cas de moyens limités, une collecte sur les trois répétitions les plus homogènes constitue une alternative possible). Néanmoins, les avancées récentes en matière d'analyses automatiques (comme la spectrométrie FTIR) et de capteurs au champ ouvrent des perspectives réalistes pour l'analyse de davantage de traits à l’avenir.
Le rendement est évalué par pesée directe des raisins (par parcelle élémentaire) au champ. Habituellement, la collecte des données peut commencer à partir de la deuxième ou préférablement de la troisième année suivant la plantation des greffés-soudés ou le greffage en place, et doit se poursuivre pendant au moins trois ans. Les résultats de l’analyse initiale des données collectées au cours de ces trois années (ou plus, si elles sont disponibles) permettent de déterminer si de plus amples évaluations s’avèrent nécessaires. Des données complémentaires (ampélographiques, phénologiques, etc.) peuvent être collectées en fonction des objectifs spécifiques de la sélection et des ressources disponibles.
De façon optionnelle, avant la sélection finale d’un groupe de génotypes (pouvant être utilisé immédiatement) d’une variété destinée à la production de vin, il pourrait s’avérer utile de procéder à des microvinifications, selon un protocole normalisé, avec ce groupe et avec un échantillon représentatif de l’ensemble des génotypes de l’essai, en utilisant entre 20 et 30 génotypes choisis de manière aléatoire. Les deux vins obtenus devraient être dégustés en aveugle par des experts dans le cadre d’un test duo-trio, afin de déterminer si le vin élaboré à partir du groupe sélectionné possède les caractéristiques sensorielles de la variété. Si les différences s’avèrent significatives du point de vue statistique, la dégustation devrait être suivie d’une analyse sensorielle descriptive afin de déterminer de manière objective les différences sensorielles existantes entre le groupe sélectionné et l’ensemble du lot de l’essai.
3.4. Analyse des données et sélection polyclonale
Des modèles mixtes sont appliqués pour l’analyse des données. L’objectif final est d’estimer les composantes de la variance, d'identifier les meilleurs indicateurs linéaires sans biais empiriques (EBLUP) des effets génétiques et de calculer le gain génétique (R).
Dans le cas de données équilibrées et de modèles possédant des structures de variance plus simples, la sélection peut être basée sur le classement des valeurs phénotypiques moyennes des génotypes (étant donné que dans ce cas, le classement des valeurs moyennes phénotypiques est équivalent au classement des EBLUP des effets génotypiques). Dans ces conditions, les outils classiques de la génétique quantitative s’appliquent. La sélection implique donc de classer un lot de génotypes étudiés en fonction de leurs valeurs phénotypiques, de choisir un sous-ensemble des plus intéressants pour un trait donné et de calculer la différence avec la moyenne globale (différentiel de sélection, S), ainsi que de quantifier la valeur de l’écart entre les valeurs phénotypiques (observées) et les valeurs génotypiques (héritabilité au sens large, ), pour enfin calculer le gain (R) selon la formule suivante :
Dans le cas de données déséquilibrées et de modèles plus complexes, la sélection génotypique devrait être basée sur le classement des EBLUP des effets génotypiques et sur la prédiction du gain génétique calculée comme la moyenne des EBLUP des clones sélectionnés.
La sélection peut être faite en faveur d’un des caractères évalués, ou de plusieurs, pris en compte de manière individuelle ou sous la forme d’un indice de sélection.
Le nombre de génotypes sélectionnés qui constituera le matériel polyclonal est défini sur la base d’un compromis entre le gain désiré (il augmente si le nombre de génotypes sélectionné est plus faible) et la stabilité du comportement du lot de génotypes sélectionnés au sein de différents environnements, c.-à-d. une interaction G×E faible (interaction entre génotype et environnement). Cette stabilité augmente avec le nombre de génotypes sélectionnés. Les résultats expérimentaux présentés dans la littérature (3) montrent que la stabilité du groupe augmente très rapidement de un à sept génotypes, puis de manière plus modérée au-delà de ce nombre. En se basant sur ces résultats, il apparaît que le matériel polyclonal obtenu devrait être constitué d’un mélange équilibré de 7 à 20 génotypes, en fonction des conditions spécifiques de chaque sélection. Cependant, si le nombre de génotypes peut être supérieur à 20, il ne peut en aucun cas être inférieur à 7. Pour obtenir un mélange équilibré, il faut que chaque génotype soit représenté dans le groupe à une fréquence de 1/n, n correspondant au nombre total de génotypes dans le mélange. Pour des raisons de faisabilité, ainsi que de dépendance du matériel disponible de chaque génotype et d’autres facteurs conjoncturels, des tolérances doivent être acceptées pour ces limites. Quoi qu’il en soit, la fréquence de tout génotype donné ne doit jamais excéder le double de celle du génotype le moins fréquent.
3.5. Second diagnostic virologique des génotypes qui forment le groupe polyclonal
Les exigences phytosanitaires appliquées à cette sélection doivent s'ajuster au cadre réglementaire du pays où est réalisée la sélection ou de celui où le matériel doit être planté (le plus strict des deux).
3.6. Diagnostic moléculaire des génotypes du groupe polyclonal
La sélection des génotypes doit être précédée d’une analyse moléculaire destinée à confirmer leur identité variétale, en utilisant les meilleures méthodes disponibles du moment.
3.7. Conservation des plants issus des souches présélectionnées du groupe polyclonal
Chaque génotype sélectionné est soumis à un diagnostic phytosanitaire et variétal et est multiplié à petite échelle pour l’obtention de plants fondateurs.
Les plants doivent être conservés en conditions de sécurité sanitaire optimales, avec capacité de remplacement en cas d’infection et ajustement de leur effectif aux besoins du marché. Il est par exemple possible de les cultiver sous serre, en pots dans un substrat inerte, soumis à une fertilisation et protégés contre les vecteurs de virus.
3.8. Conservation de la biodiversité
La parcelle objet de l’essai décrit précédemment ainsi que les données qui y sont collectées peuvent être utilisés à des fins complémentaires autres que la sélection polyclonale, telles que la conservation de la diversité intra-variétale et la lutte contre l’érosion génétique actuelle. La conservation devrait être garantie par la parcelle d’essai le temps de sa vie utile, et après cette période doit être poursuivie par d’autres méthodes.
4. Homologation
Si l’homologation de matériel polyclonal est envisagée, elle doit s'ajuster au cadre réglementaire du pays où est réalisée la sélection. Il est souhaitable que les normes d’homologation de génotypes sélectionnés soient harmonisées entre les différents États qui choisissent cette option.
5. Autres résultats secondaires et recommandations
En plus de la sélection polyclonale, aussi bien l’essai au champ décrit précédemment que les données qui y sont collectées peuvent être utilisés à des fins complémentaires.
Les données expérimentales devraient être conservées dans des conditions de sécurité optimales, telles que la multiplication des supports informatiques et des bases de données. Ces données permettront de réaliser de nouvelles sélections in situ afin de répondre à tout nouveau défi posé au secteur de la vigne et du vin, en constante évolution.
De plus, le rendement et d’autres données peuvent être analysés afin de quantifier la diversité intra-variétale par l’intermédiaire de la représentation graphique des courbes normales de densité de probabilité de ces caractères ou du calcul des coefficients de variation génotypique. Ces informations peuvent permettre d’établir l’origine et l’expansion géographique d’une variété, condition sine qua non à l’étude objective de la diversité intra-variétale.
La phase expérimentale du processus de sélection polyclonale (voir point 3) peut également être considérée comme la première phase de la sélection clonale à proprement parler. Dans ce cas, un nombre plus élevé de génotypes doit être sélectionnés est requis afin de procéder à un second cycle d’essais d’adaptation régionale pour la sélection de clones individuels.
6. Résumé du protocole
Figure 2. Méthodologie de la sélection polyclonale de la vigne et de la conservation de la diversité
ANNEXE I. GLOSSAIRE
La terminologie et l’usage de ce glossaire ne devraient s’appliquer que dans le cadre de cette résolution, afin de garantir que le contexte de ces définitions s’applique au texte de la résolution.
Héritabilité au sens large (
)
La variance génotypique d’un trait quantitatif (relative au lot de génotypes d’une variété ancienne au sein d’un essai au champ spécifique) divisée par la variance phénotypique totale. Cette variance génotypique ne peut être déterminée directement, mais peut être obtenue en soustrayant la variance environnementale de la variance totale observée au sein de l’essai.
Certification
Système de contrôle destiné à vérifier le respect des exigences légales en matière de multiplication et de distribution du matériel végétal de propagation. D’une manière générale, ce système donne lieu à plusieurs types de matériels en fonction de l’état sanitaire et d’autres facteurs. Au sein de l’Union européenne, l’existence de la catégorie « matériel certifié » n’exclut pas le fait de pouvoir considérer d’autres catégories (« initial », « de base », « standard ») comme également certifiées.
Clone
Consulter la définition dans la résolution OIV-VITI 564A-2017 (4).
EBLUP (meilleurs indicateurs linéaires sans biais empiriques de la valeur génotypique)
Il s'agit d’indicateurs plus fiables que la valeur phénotypique pour établir la valeur génotypique, car ils permettent de supprimer plus efficacement la variation environnementale. Ainsi, exprimés en tant que déviation par rapport à la moyenne totale, ils permettent de quantifier directement le gain génétique.
Déviation environnementale (E dans l’équation fondamentale de la valeur phénotypique : P = G + E)
La part de la valeur phénotypique déterminée par l’environnement, supposée suivre une distribution de moyenne nulle et de variance non nulle (5), (6), (7) et (8). La déviation environnementale ne peut être déterminée directement, mais sa variance dans un lot de génotypes peut être déterminée de manière expérimentale.
Plants fondateurs
Un nombre réduit de plants représentant une sélection soumise à une homologation officielle. Ces plants sont traités suivant des conditions strictes qui favorisent la stabilité génétique et la protection sanitaire.
Gain génétique prévisible (R dans l’équation : R = S ×
)
Pour un trait donné, la différence entre sa valeur chez les descendants végétatifs d’un ou de plusieurs génotypes, sélectionnés au sein d'un lot expérimental de clones, et sa valeur moyenne chez les descendants végétatifs de tous les clones de ce lot. Il peut être calculé comme le produit de la valeur du différentiel de sélection (S) par celle de l´héritabilité au sens large (), ou comme la somme moyenne des EBLUP des effets génotypiques des clones sélectionnés (1) et (9).
Sélection génétique
Sélection d’un sous-ensemble de clones d’une ancienne variété hétérogène en termes de traits quantitatifs, basée sur des indicateurs des valeurs génotypiques (valeurs phénotypiques, EBLUP et autres) d’un ou de plusieurs traits, conduisant à des gains génétiques objectifs de ces traits.
Génotype
Le patrimoine génétique d’un organisme ou groupe d’organismes concernant un trait, un groupe de traits ou un complexe entier de traits.
Interaction entre génotype et environnement (G×E)
Une interaction entre génotype et environnement peut être définie comme une modification de la performance relative d’un « caractère » d’au moins deux génotypes mesurée dans au moins deux environnements. Les interactions peuvent donc impliquer des modifications dans l’ordre de classement pour les génotypes entre environnements, ainsi que des modifications de la valeur absolue et relative des variances génétiques, environnementales et phénotypiques entre environnements (10).
Valeur génotypique (G dans l’équation fondamentale de la valeur phénotypique : P = G + E)
La part de la valeur phénotypique déterminée génétiquement qui est transmise par propagation végétative. La valeur génotypique ne peut être déterminée directement, mais peut être estimée au moyen de divers indicateurs basés sur les relations entre variances.
Dans un essai au champ, la variance des valeurs génotypiques est égale à la différence entre la variance phénotypique et la variance environnementale observées au sein de cet essai.
Diversité intra-variétale
Différences au niveau des traits quantitatifs des plants d’une variété ancienne initialement homogène, mais qui est devenue hétérogène du fait de l’accumulation de mutations végétatives clonales et d’autres mécanismes de variation associés à la multiplication somatique. Cette diversité constitue la matière première utilisée sur laquelle se base la sélection génétique et autres usages réservés aux variétés anciennes.
Modèles mixtes
Modèles à effets fixes et aléatoires.
Valeur phénotypique d’un trait (P dans l’équation fondamentale de la valeur phénotypique : P = G + E)
La valeur d’un trait dans un plant ou un clone, au sein d’un lot expérimental, évaluée par observation directe ou toute autre méthode. Selon le modèle classique, la valeur phénotypique correspond à la somme de la valeur déterminée génétiquement (valeur génotypique, G) et avec une déviation environnementale donnée (E) de moyenne nulle et de variance non nulle : P = G + E. Les valeurs phénotypiques peuvent être déterminées expérimentalement, et la variance de ces valeurs au sein d’un lot expérimental est donc obtenue directement au moyen de simples calculs à partir des valeurs observées.
Sélection polyclonale
Dans le cadre de la présente résolution, la sélection polyclonale se réfère à la sélection au sein d'un lot expérimental de génotypes d'une variété ancienne d’un groupe de 7 à 20 génotypes contenant la majeure partie de sa diversité intra-variétale. La sélection se base sur divers outils de génétique quantitative afin de réduire efficacement les déviations environnementales et d’obtenir des gains génétiques substantiels, stables et prévisibles. Exceptionnellement, le nombre de génotypes sélectionnés peut être supérieur à 20, mais en aucun cas inférieur à 7, pour éviter les interférences de l’interaction G × E. Dans la sélection finale destinée à la multiplication, les génotypes devraient être en quantités égales. Cependant, une certaine tolérance est admise, à condition qu'aucun génotype n’excède, en termes de fréquence, un effectif égal au double de l’effectif du génotype le moins fréquent. Les paramètres ciblés par l’évaluation et la sélection devraient être, au minimum : le rendement, les solides solubles et l’acidité du moût pour les variétés blanches, ainsi que les anthocyanes de la pellicule pour les variétés rouges.
Dans ce contexte, un mélange de génotypes résultant de plusieurs processus de sélection indépendants ne correspond pas à cette définition de la sélection polyclonale, et, pour éviter toute confusion, devrait être désigné comme mélange multiclonal.
Trait qualitatif
Un trait qui, au sein d’un lot de plants hétérogène, présente une distribution discrète, résultant d’un déterminisme monogénique ou oligogénique et de déviations environnementales modérées.
Génétique quantitative
Principes génétiques qui permettent de comprendre et d’analyser les traits quantitatifs. Les distributions de traits quantitatifs correspondent à la somme des distributions génétiques et des distributions des déviations environnementales. La compréhension des premières implique donc une réduction des déviations aléatoires, une décomposition de la variance et des processus afférents. En résumé, la génétique quantitative est la statistique appliquée à la génétique des traits quantitatifs.
Trait quantitatif
Un trait qui, au sein d’un lot de plants hétérogène, présente une distribution continue et normale. La normalité résulte d’un déterminisme polygénique et/ou de déviations environnementales élevées.
Sélection sanitaire
Diagnostic des pathogènes systémiques, intra- ou intercellulaires qui se transmettent par multiplication végétative (et d’autres mécanismes). En pratique, elle est essentiellement appliquée aux virus.
Sélection différentielle (S dans l’équation du gain génétique : R = S ×
)
Différence entre les valeurs moyennes des génotypes sélectionnés au sein d'un lot expérimental d'une variété ancienne et la valeur moyenne des génotypes du lot total.
Variété ancienne (au sens botanique) et variété cultivée ou cultivar
En botanique, une variété est définie comme un groupe de plantes résultant d’une évolution naturelle et possédant des traits similaires pouvant être reproduits « conformes au type » de génération en génération. Selon le Code international pour la nomenclature des plantes cultivées (CINPC), la variété cultivée, ou cultivar, est un ensemble de plantes (a) qui a été sélectionné en raison d’un caractère particulier ou d’une combinaison de caractères, (b) qui est distinct, homogène et stable pour ces caractères et (c) qui conserve ces caractères lorsqu’il est multiplié selon les méthodes appropriées. Selon ces définitions, certaines variétés anciennes, telles que le pinot noir ou le tempranillo, ne sont pas des variétés botaniques, leurs origines et leur évolution étant fondamentalement tributaires de l’action de l’homme. Mais elles ne correspondent pas non plus exactement à des cultivars, car elles n'ont pas été sélectionnées en fonction de traits concrets par un sélectionneur connu et sont loin d’être homogènes au niveau de divers traits culturaux et œnologiques importants. La définition de cultivar du CINPC se réfère bien aux parties de la variété ancienne sélectionnées par différents sélectionneurs pouvant être notablement différentes entre elles, homogènes et stables. Dans le cadre de la présente résolution, et jusqu’à ce qu’une meilleure définition soit adoptée, le terme variété ancienne est utilisé pour les désigner.
ANNEXE II : SÉLECTION GÉNÉTIQUE ET PHYTOSANITAIRE DE LA VIGNE : ÉTAT DE L’ART ET REVUE BIBLIOGRAPHIQUE
1. Bases théoriques de la génétique quantitative pour la réalisation de la sélection génétique
Aux prémices de la domestication de la vigne, principalement dans la sphère géographique de l'Asie méditerranéenne, l’ancienne variété de vigne aurait émergé sous la forme d'une population homogène. Cependant, la multiplication végétative postérieure de la population variétale a donné lieu à une infinité de mitoses et autant de réplications d’ADN, ces dernières entraînant des mutations génétiques et d’autres mécanismes de variation génétique. Ces mutations sont fréquemment reflétées dans la couleur des baies, la forme des feuilles et autres traits quantitatifs mutants.
Presque tous les traits de la vigne, y compris ceux qui présentent une importance économique, sont quantitatifs (rendement, sucres, acidité et anthocyanes de la baie, entre autres), ce qui les convertit en cibles naturelles de la sélection génétique. Les traits quantitatifs sont déterminés par des ensembles de gènes aux effets réduits et cumulatifs (micro-gènes ou polygènes), qui sont également sujets à des mutations.
L’amplitude de la variation intra-variétale d’un trait, fruit de l’accumulation de mutations pendant des siècles voire des millénaires, peu atteindre des niveaux extrêmement élevés : le degré de variation du rendement entre génotypes d’une variété historiquement répartie sur un territoire donné peut être d’un rapport de 1 à 10, tandis que celui de la teneur en sucres, de l'acidité et de la teneur en anthocyanes peut aller du simple au double. Cette diversité constitue la matière première de la sélection, et donne champ libre à l'obtention de gains génétiques importants impliquant des bénéfices économiques notables. Cela ouvre la voie à une modification naturelle de la variété ancienne en vue de son adaptation à de nouvelles donnes biotiques et abiotiques, y compris le changement climatique. Pour exploiter ce potentiel, la sélection devrait être conduite sur des échantillons de génotypes suffisamment grands permettant de représenter, autant que possible, la diversité naturelle de la variété ancienne. Selon les estimations fournies par divers essais expérimentaux et simulations par ordinateur, la taille de l’échantillon devrait se situer entre 100 et 400 génotypes. L’utilisation d’échantillons de cette importance entraîne une maximisation de la différence entre la valeur d'un génotype isolé (ou la moyenne d’un groupe de génotypes) pour un trait quantitatif donné et la moyenne de l’ensemble de l’échantillon (différentiel de sélection, S). Ce différentiel constitue le premier facteur pour l'évaluation du gain génétique. Cependant, ce facteur est encore surestimé par la déviation environnementale et l'interaction entre le génotype et l'environnement, toutes deux non héréditaires, ce qui rend nécessaire l'application d'une correction en quantifiant la part génétique de la variation par rapport à la variation totale au sein de l’ensemble du lot échantillon.
La diversité intra-variétale est déterminée par de nombreux gènes, déterminant chacun une certaine distribution de la diversité. À ces facteurs génétiques viennent s'ajouter des déviations environnementales aléatoires, caractérisées par une moyenne nulle, une variance non nulle et une distribution presque normale. Cela implique que la distribution de la diversité totale correspond à une somme aléatoire de distributions qui, selon les bases théoriques de la statistique, suivra toujours une distribution normale. Il en découle que pour un trait donné, la valeur phénotypique (observée) d'un génotype au sein d'un lot expérimental soumis à une sélection obéit au modèle suivant :
P |
= |
G |
+ |
E |
+ |
G×E |
Valeur phénotypique |
Valeur génotypique |
Déviation environnementale |
Interaction entre génotype et environnement |
La valeur phénotypique (P) d’un génotype donné est la seule de ces valeurs à pouvoir être mesurée directement. Cependant, la valeur génotypique (G), invisible, est la seule valeur transmissible à la « descendance », et donc l’objet unique de la sélection polyclonale. Ainsi, le principal objectif de tout le processus de sélection devrait être de réduire autant que possible les valeurs de E et de G×E, afin que la valeur de P se rapproche de celle de G. De cette manière, P (mesurable) se convertit en un indicateur fiable de G.
La première étape pour atteindre cet objectif consiste à conduire la sélection au sein d’essais au champ, où chaque génotype est répliqué plusieurs fois. Ainsi, de nombreuses déviations environnementales s’annulent entre elles, et leur moyenne tend vers zéro lorsque le nombre de répétitions augmente. Cette propriété s’explique par un principe statistique de base : la variance des moyennes d’échantillons de taille n d’un lot de plants est égale à la variance du lot divisée par n.
Les simulations par ordinateur offrent les mêmes conclusions. Dans la pratique, cela signifie que la sélection de plants individuels s’avère nettement inefficace, car la somme des variances des déviations environnementales et de l'interaction entre le génotype et l'environnement représente entre 70 et 100 % de la variance totale. La part de la variance génétique dans la variance totale varie donc de 0 à 30 %. Au contraire, les essais de sélection reposant sur l’utilisation de 15 plants par génotype et sur un plan d'expérience classique, avec 3 à 4 plants et 4 à 5 répétitions au sein de blocs aléatoires complets, permettent une réduction de la déviation environnementale et de l’interaction G×E jusqu’à des valeurs situées entre 10 et 40 %, élevant donc la déviation génétique à des valeurs allant de 60 à 90 % (3).
Ces valeurs de la variance génétique, divisées par la variance phénotypique observée totale, correspondent à l'héritabilité au sen large (h2), et fournissent les facteurs de correction des différentiels de sélection (S) nécessaires pour la prédiction du gain génétique (R) :
R |
= |
S |
. |
h2 |
Gain génétique |
Différentiel de sélection |
Héritabilité au sens large |
Les essais de sélection à grande échelle, basés sur ces principes de la génétique quantitative et de la statistique et réalisés avec des variétés anciennes de vigne issues d’Europe centrale et occidentale, se sont fréquemment soldés par des gains de rendement compris entre 10 et 40 % et une amélioration des traits de qualité du moût de jusqu’à 10 % par rapport à la variété ancienne originale non sélectionnée.
En marge de l’utilisation des valeurs phénotypiques en tant que prédicteurs des valeurs génotypiques correspondantes décrites précédemment, il est également possible, en conditions optimisées, d’utiliser des méthodes conduisant à l’obtention d’indicateurs plus exacts : les meilleurs indicateurs linéaires sans biais empiriques (EBLUP) de la valeur génotypique. Il s’agit de méthodes basées sur des essais suivant un plan d’expérience en blocs incomplets, une adaptation des données à des modèles mixtes et une estimation des composantes de la variance par application du maximum de vraisemblance restreinte (REML).
Les méthodologies citées sont appliquées à des essais initiaux de grande envergure incluant toute la diversité de la variété ancienne ciblée afin d’obtenir un groupe de génotypes présentant un gain significatif pour le ou les traits souhaités. Comme cela est le cas avec la déviation environnementale (E), lorsque ce groupe est planté entièrement mélangé, les interactions G×E des différents clones s’annulent entre elles : l’interaction G×E du groupe et la déviation environnementale tendent vers zéro. Ce groupe sera le résultat de la sélection polyclonale et il présentera un comportement stable dans différents environnements.
Dans cette méthodologie, la déviation environnementale (E) et l’interaction G×E sont traitées de front, sans qu’il soit nécessaire de les séparer et d’estimer leurs valeurs respectives.
2. Évolution historique des méthodologies de sélection appliquées aux cultures agricoles et aux variétés de vigne
Les origines de l’amélioration végétale remontent à la première moitié du 19ème siècle. À cette époque, plusieurs croisements de plantes (plantes potagères, céréales, arbres fruitiers, etc.) ont été réalisés afin d’obtenir une descendance plus performante pour les agriculteurs. Ce fut un moment très productif, à une époque où les bases de la génétique étaient encore inconnues, mentionnées pour la première fois avec la publication par Mendel de ses travaux sur le pois cultivé (11), mais qui n’ont commencé à être admises par la communauté scientifique qu’à partir de leur redécouverte au début des années 1900.
Au cours du dernier quart du 19ème siècle, des techniques d’amélioration génétique par hybridation commencèrent à être également appliquées à la vigne (croisement de Vitis vinifera avec des espèces de Vitis américaines) ; elles furent couronnées de succès et contribuèrent grandement à surmonter les diverses crises du mildiou, de l’oïdium et du phylloxéra, qui étaient sur le point d’anéantir la viticulture européenne. Les premiers travaux sur la sélection massale et clonale des anciennes variétés, menés essentiellement en Allemagne, datent de la même période.
Malgré ces avancées historiques, l’amélioration végétale, en tant que science et pratique, n’a connu un développement continu et notable qu’à partir des années 1920. Cet essor tardif peut être attribué au fait que presque tous les traits pertinents des plantes (à l’instar des animaux) sont quantitatifs, leur héritabilité ne pouvant donc pas être entièrement expliquée par la génétique mendélienne. Cependant, dans les années 1920 également, une nouvelle discipline scientifique a commencé à se développer, permettant de mieux comprendre ces traits : la biostatistique, également connue comme génétique quantitative.
Un des principaux promoteurs de ce développement fut le chercheur Ronald Fisher, impliqué entre autres dans les domaines de l’amélioration végétale et de la sélection, alors qu’il cherchait à développer des méthodes permettant d'exploiter les données considérables rassemblées dans la Station expérimentale de Rothamsted (Angleterre). Le théorème fondamental de la sélection naturelle de Fisher indique que « le rythme auquel augmente l’aptitude biologique d’un organisme à un moment donné est égal à sa variance génétique en termes d’aptitude génétique à ce moment-là » (12). La naissance de la génétique quantitative et d'autres branches fondamentales des sciences statistiques (analyse de la variance, régression, etc.) a été motivée par des problématiques posées dans le domaine de l’amélioration végétale. Bien entendu, une fois formalisée et structurée, l’application de diverses innovations méthodologiques a permis de donner un élan formidable à l’amélioration végétale.
Grâce à cet élan, entre autres, l’amélioration végétale a connu un développement rapide à partir des années 1930. Parmi les cas les plus notoires enregistrés, il faut citer le grand succès de l’amélioration du maïs enregistré aux États-Unis et dans d’autres pays, obtenu au travers d’études dans les domaines de l’hétérosis et de l’amélioration végétale conduites par le CIMMYT (Centre international d’amélioration du maïs et du blé[1] ), et qui a permis d'atténuer la faim de millions de personnes dans le monde.
Récemment, divers auteurs (3) ont signalé que les augmentations notables du rendement et de la qualité des principales cultures enregistrées aux États-Unis et dans le monde au cours des 100 dernières années étaient dues à 50 % à l’amélioration génétique, c.-à-d. autant que l’ensemble des autres techniques agricoles réunies. Aujourd’hui, plusieurs méthodes très efficaces sont utilisées pour l'obtention de variétés génétiquement améliorées, parmi lesquelles : les hybrides commerciaux (qui s’appuient sur l’hétérosis des plantes croisées, comme le maïs), les lignées pures (plantes homozygotes autogames, comme le blé), les variétés allogames (hétérogènes, obtenues par sélection massale, comme les espèces forestières hybrides) et les clones (le type variétal le plus homogène, utilisé pour la propagation végétative).
La vigne (Vitis vinifera) constitue un cas particulier dans le contexte de l’amélioration végétale, fondamentalement parce que le concept de qualité du vin inclut de nombreux facteurs historiques et psychologiques qui conduisent à une préférence pour les variétés anciennes naturelles. Ainsi, les techniques d’amélioration qui impliquent la création d’une nouvelle variabilité (hybridation et autres) ne sont pas bien accueillies dans la pratique. Néanmoins, la sélection massale et clonale est basée sur la variabilité intra-variétale naturelle, ne présente aucune contre-indication, et devrait donc être appliquée sans réserve.
La première condition pour la sélection massale et clonale de la vigne réside dans l’existence d’une diversité intra-variétale et la compréhension de son amplitude, de sa distribution géographique, des traits impliqués, etc. Cette question a été abordée pour la première fois dans les années 1930, en Allemagne et aux États-Unis, mais les résultats obtenus ne se sont apparemment pas avérés cohérents avec l’existence d’une variabilité intra-variétale : cette variabilité a été établie pour les variétés traditionnelles allemandes, mais pas pour celles cultivées aux États-Unis (pour de plus amples informations, voir : (13), (14) et (15). Dans les années 1950, en France, Levadoux a réinterprété ces observations incohérentes et proposé que la diversité intra-variétale observée en Allemagne était le fruit de l’ancienneté des variétés, tandis que la diversité moindre observée aux États-Unis pouvait être due au fait que les plants avaient été importés d'Europe (après sélection de quelques accessions variétales) et ne contenaient qu'une petite partie de la diversité totale (16). Ces études n’ont cependant pas abouti à une clarification de l’origine de la diversité, de sa quantification objective, de sa distribution géographique ni du rôle qu’elle joue dans l’obtention des gains génétiques attendus de la sélection.
Le second facteur de gain génétique, l’héritabilité au sens large, qui résulte de la dissociation de la variance totale de ses composantes génétiques (héritables) et environnementales (non héritables), n’a pas été étudié en profondeur dans le contexte de la sélection de la vigne. En France, Rives a conduit un travail de synthèse minutieux des fondements génétiques pour moderniser la sélection et la rendre plus efficace, mais ses propositions ne se sont pas traduites par des applications effectives (1).
Néanmoins, des tentatives (3) visant à aligner les méthodes de sélection de la vigne avec les principes de l’amélioration végétale appliquées aux espèces agricoles d’intérêt général ont été réalisées.
En résumé, la méthodologie présentée dans ce document est basée sur des théories consolidées et largement prouvées de la statistique et de la génétique quantitative, sur différents travaux de référence en matière d'amélioration végétale menés dans le monde, ainsi que sur des cas d'application pratique à la vigne dûment documentés.
Situation actuelle et risques pesant sur les ressources génétiques de Vitis vinifera
Les anciennes variétés de vigne correspondraient à l’origine à des génotypes homogènes, qui auraient commencé à produire et à accumuler de la diversité, principalement suite à des mutations somatiques des traits quantitatifs. Par le passé, la plupart des plants étaient soumis à une propagation asexuée, de manière à ce que leurs gènes ne disparaissaient pas à leur mort, mais étaient transmis aux nouveaux plants et continuaient à accumuler des mutations, processus répété de générations en générations.
C’est ce processus millénaire qui est à l’origine de la diversité extraordinaire qu’il est aujourd’hui possible d’observer chez de nombreuses variétés anciennes. Il a cependant été limité lorsque des greffés-soudés commerciaux, issus d'un nombre très réduit de vignobles spécialisés (utilisés pour la multiplication) ont commencé à être utilisés pour la plantation des nouvelles vignes. Cela signifie que tous les plants de la variété ancienne continuent à être cultivés et à accumuler des mutations, mais qui ne sont plus transmises aux plants des nouveaux vignobles. Le processus à l’origine de la variabilité et qui permettait son accumulation et sa transmission d’année en année s’est donc vu réduit.
Ce phénomène est encore aggravé par la généralisation du recours à la sélection variétale, plus particulièrement lorsque cette sélection est très restrictive (culture d'un nombre réduit de génotypes sélectionnés).
Cette situation ne peut se traduire que par une homogénéisation de tous les vignobles et à un « blocage génétique » de la variété, susceptible de rendre impossible toute possibilité de sélection à moyen voire à court terme, à moins d’adopter une pression sélective faible lors de la sélection clonale classique d’une variété donnée, conduisant à la sélection de nombreux clones. Le délai de disparition de la diversité intra-variétale dans un pays donné dépend fondamentalement du travail accompli depuis les années 1970 à l’échelle publique et privée en matière de sélection clonale, ainsi que de l'époque à laquelle les plants greffés-soudés ont commencé à être utilisés et du rythme de rénovation des vieux vignobles. En Eurasie, où l’espèce Vitis vinifera présente une plus grande diversité, certains pays pourraient déjà avoir perdu la plupart de la diversité qu’ils abritaient originellement, tandis que dans d’autres, il serait encore possible d'organiser des stratégies de conservation.
Les alternatives offertes pour la conservation sont assez limitées : la conservation au champ à large spectre n’est pas vraiment viable, car elle impliquerait la culture de plants extrêmement hétérogènes, pratique peu compatible avec la viticulture moderne et la compétitive actuelle. Seule la conservation de parcelles de vigne habilitées à cet effet faisant appel à des échantillons représentatifs de la diversité de chaque variété offre une solution viable face à l’érosion inhérente à la sélection clonale classique.
Certains pays ont déjà développé un cadre théorique pour la mise en œuvre de ce type de conservation. Pour être représentatif, l’échantillon doit présenter au moins 70 génotypes de chaque région où la variété ancienne est cultivée ; ce nombre peut être porté à plusieurs centaines lorsqu'une variété ancienne est cultivée de longue date dans plusieurs régions de divers pays. Le système de conservation doit être redondant, et préférablement basé sur deux collections distinctes : une consacrée exclusivement à la conservation (où les plants peuvent être cultivés en pots), et une autre au sein d’un vignoble en production, conduit suivant les pratiques agricoles habituelles, destinée à la conservation et l’évaluation de tous les génotypes de l’échantillon.
La conservation constitue une activité expérimentale intimement liée à la sélection. En premier lieu, les génotypes objet de la prospection à ces fins peuvent bien souvent être les mêmes. En second lieu, l’évaluation des clones conservés peut être mise à profit aux fins de la sélection, tandis que les essais de sélection peuvent être utilisés comme structures de conservation.
En résumé, la conservation de la diversité intra-variétale est aujourd’hui une tâche prioritaire afin de garantir la continuité des efforts de sélection et des gains génétiques et économiques remarquables qui pourraient en découler.
BIBLIOGRAPHIE ET CITATIONS
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